lundi 4 avril 2016

Dissociation et sentinelle

Il y a très longtemps, une toute petite fille habitait dans un corps. Ce corps, petit, léger, lui appartenait. Elle pouvait sauter, danser et même voler avec ce corps, il lui suffisait de le vouloir. Elle pouvait aussi entrer en communication avec d’autres petites filles habitant d’autres corps de la même taille que le sien. Sa vie était un jeu. Elle testait toutes les possibilités de sa machine qu’elle contrôlait d’une simple volonté. Elle vivait en symbiose avec ce corps qu’elle trouvait beau, comme un ange asexué, ni homme, ni femme, ni fille, ni garçon. Pourquoi ? Il y a des corps faits différemment de ce corps qu’habite la petite fille ? Non, ce n’est pas possible ! Bon, oui, il y en a qui ont des cheveux longs, d’autres des cheveux courts, qui mettent des pantalons ou d’autres des jupes. Mais tout ça n’est que superficiel. De toutes façons, ils sont tous habités par des petites filles.

Il y a très longtemps, mais moins longtemps quand même, la petite fille aimait une autre petite fille qui habitait dans un corps plus grand. Cette autre petite fille regardait à travers le petit corps et voyait la fillette cachée qui réclamait l’amour. Parce que toutes les petites filles rêvent d’amour, l’amour qui peut les aider à guider ce corps dans sa croissance. L’amour inconditionnel, sans soucis du superficiel. L’amour pour la vraie petite fille aux commandes du corps.

Mais un jour, la petite fille dans le corps plus grand a profité de la confiance de la petite fille dans le corps petit. Etait-ce vraiment une petite fille dans ce grand corps ? C’était peut-être plutôt un loup-garou comme dans les histoires qu’on raconte. Mais non, le loup-garou, il est dans la forêt et c’est quelqu’un qu’on ne connaît pas, alors que la petite fille du grand corps, elle la connaît, elle la connaît très bien même, elle l’a toujours connue...je crois. Que s’est-il passé pour que cette petite fille, ce loup-garou, essaie de prendre le contrôle sur le petit corps ? Comment a-t-il pu dire à la petite fille du petit corps « Tu ne sais pas faire avec ton petit corps, je vais te montrer, moi, comment tu peux le contrôler ! Tu vas voir, tu vas t’amuser comme jamais, il va réagir comme un corps de grand. » Nooooooon ! Laisse-moi mon corps, je veux pas qu’il soit comme un corps de grand, je veux pas choisir entre fille ou garçon, je veux juste être une petite fille. Mais qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Mon corps réagit à tes contrôles et plus à mes volontés. Tu n’as pas le droit de contrôler mon corps, tu n’es même pas dedans pour voir ce que ça lui fait ! Enlève tes mains ! Comment tes mains, de l’extérieur, pourraient-elles prendre possession de la salle de commandes alors que personne ne peut commander aux petites filles de faire ce qu’elles ne veulent pas ? Ce corps n’est donc plus le mien ? Je ne comprends pas ce qu’il fait. Ca y est, il est trop  grand pour moi. Son programme est trop compliqué, je ne comprends plus son informatique. Quand je lui dis « souris », il se met à pleurer. Quand je lui dis « écoute », ses oreilles bourdonnent et je ne comprends pas ce que disent les autres corps. Quand je lui dis « réponds », il sort une phrase au hasard et les regards des autres semblent surpris. J’ai envie de crier « Je suis toute petite, là- dedans ! Et ce corps n’est pas celui qu’on m’avait donné au départ ! Je ne sais pas le faire marcher, il fait n’importe quoi ! Aidez-moi ! Qu’est-ce qu’il se passe ?» Mais personne ne m’entend. Alors je laisse tomber les commandes, je le mets sur pilote automatique, quitte à ce qu’il ait l’air d’un robot, et qu’il ait l’air idiot, et je m’effondre, je tombe au fond de ce corps trop grand, qui devient toujours de plus en plus grand, de qui on attend toujours plus et qui a décidé d’être féminin. Mais pourquoi m’a-t-on donné le corps d’une proie ? C’était si facile de n’être ni prédateur, ni proie. Mais non, voilà, j’ai compris. L’autre corps qui a pris possession de mon petit corps asexué était en fait un prédateur. Il a cassé une partie de mes commandes, celle qui m’aurait permis de me défendre, celle qui savait être forte, pour ne laisser que la partie la plus fragile, la plus facile à contrôler de l’extérieur. Je me suis faite avoir ! Dans les autres corps, il n’y a pas que des petites filles, il y aussi de grands méchants loups, et ils sont malins, ils savent te montrer patte blanche. Comment savoir alors dans quels corps sont les petites filles et dans quels corps sont les loups ? On pourrait croire que c’est facile : corps d’hommes = loups, corps de femmes = petites filles ! Mais c’est faux.

En effet, après quelques années encore, la petite fille allait découvrir qu’un corps de femme, celui de sa propre mère, celui de sa grand-mère, et de bien d’autres encore, pouvait cacher un loup de la pire espèce. Un loup qui n’a pas besoin de toucher son corps pour le contrôler. Un mot, un regard suffit pour faire faire à ce corps n’importe quoi. Et personne autour ne voit rien. C’est si facile, la petite fille est si petite, et elle a si peur.

Aujourd’hui, cette petite fille, qui a passé la plus grande partie de sa vie à se cacher dans un corps trop grand, qu’elle ne contrôlait plus, essaie de crier à nouveau. Plus fort.

Dans l’isolement de sa chambre, elle essaie les commandes. Elle ne laisse jamais la place à l’improvisation. Elle ne lâche jamais les commandes, ne s’octroie jamais une pause, de peur que ce corps ne fasse à nouveau n’importe quoi. Elle est fatiguée mais elle reste toujours sur le qui-vive, toujours les yeux ouverts. Même quand elle laisse se reposer le corps, elle ne s’assoupit pas de peur qu’un autre essaie à nouveau de la posséder.

Surtout ne jamais fermer les yeux, ne jamais se laisser aller. Elle ne joue plus avec son corps, elle ne lui laisse aucun espace de liberté. Mais elle regrettera toujours le temps, il y a très longtemps, où ce corps était petit et asexué, et où elle pouvait jouer avec lui en toute liberté, le temps où il répondait à chacune de ses volontés. 

 

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