dimanche 10 avril 2016

Prostitution et pornographie, même combat ?




     Il s'agit d'un sujet très sensible où se côtoient idées préconçues, intérêts personnels et autres biais qui ne permettent pas de se poser la question de manière objective. Si, en ce qui concerne la prostitution, une grande partie de la population est unanime pour dire que certaines femmes en souffrent, certains clichés laissent penser qu'il peut s'agir d'un métier librement consenti et qui peut même être gratifiant pour la personne qui l'exerce. En ce qui concerne la pornographie, le constat est presque pire puisque les victimes sont encore plus éloignées humainement du consommateur, encore plus objectivées derrière un écran qui réduit les dernières traces de culpabilité.  

      Dans cet article, je parlerai essentiellement des femmes parce qu'elles sont la majorité des victimes de la prostitution. Mais tout est transposable aux hommes qui en sont également victimes.



  • Idées reçues

Il existe un certains nombres d'idées reçues qui empêchent d'avoir un vrai débat sur le sujet. Je vais tenter de vous démontrer en quoi je pense que c'est biaisé.


Le viol, culturel ou naturel ?

Des sacrifices pour le bien de tous

     Pour des hommes qui ont recours au chantage, au harcèlement, à l'abus de pouvoir pour imposer aux femmes un rapport sexuel, le viol n'en est que la dernière étape. Pour ces hommes, les femmes sont des objets et c'est assez socialement accepté, quand on voit la pauvreté des descriptions de la sexualité masculine qu'on réduit bien souvent à une décharge physiologique en omettant complètement la sphère émotionnelle ou relationnelle dans le désir masculin. Dans ce contexte, certains justifient la pornographie comme un sacrifice de femmes à ces "monstres" afin qu'ils ne s'en prennent pas à l'une d'entre celles que l'on considère de plus grande valeur. 


Aspects naturels de la pulsion sexuelle

  Selon Philippe Brenot, psychiatre, il n'y a pas de pulsion innée qui pousse à l'accouplement. Le sexe est culturel, le fruit d'apprentissages. La neurobiologie n'a aucun argument pour justifier ce prétendu instinct. Notez que l'on parle de désir sexuel et non de besoin comme le besoin alimentaire, le besoin de sommeil etc...
    Pour appuyer ces affirmations, je citerai le cas des animaux. Si un animal (mammifères ou oiseaux en particulier) n'est pas en contact avec ses congénères lors de la période d'imprégnation sexuelle, qui est bien plus précoce que la puberté, mais qu'il est entouré d'animaux d'une autre espèce, il développera un désir sexuel pour cette autre espèce.



Qui sont les prostituteurs ?

    Le problème est donc un problème culturel de gestion de la frustration. Certaines personnes ont la maturité nécessaire pour la supporter, d'autres sont restés immatures et pensent qu'il s'agit d'un besoin. Les sex buyers (ou prostituteurs) sont des hommes souvent en couple, qui vont chercher ce que leur femme ne leur permettrait pas de faire dans leur chambre. Ce sont des pratiques sexuelles dans lesquelles la femme est objectivée : scatologie, sodomie, violence... Ils sont plus souvent coupables d'agressions. Ils recherchent avant tout la domination de la femme. 
    Dans l'étude " sex buyers  compared" (2015) Mélissa Farley décrit les acheteurs du sexe comme présentant une structure similaire aux hommes ayant un trouble de la personnalité antisociale (psychopathie) :
- manque d'empathie
- misogynie
- désir de dominer la femme
- pratiques sexuelles sans volonté d'entrer dans une relation
- absence de mauvaise conscience
Dans cette étude,
- 27% ont répondu avoir commis des actes sexuels coercitifs
- 19% ont répondu avoir commis des viols
- 54% admettent être violent sexuellement avec leurs compagnes
- 50% trouvent ridicule l'idée qu'une prostituée puisse être violée
     Les prostituteurs sont sept fois plus nombreux à dire qu'ils violeraient une femme s'ils pouvaient le faire en toute impunité. 


La culture du viol ?

Selon Peggy Reeves Sanday (1982), il existe plusieurs types de cultures :
- culture sans viol (rare ou absent) : 47%
- culture où le viol est présent mais sur lesquelles on a trop peu de données : 35%
- culture encline au viol : 18%


Cultures enclines au viol

- le viol est autorisé ou sa gravité est banalisée
- le groupe des hommes est opposé à celui des femmes : répartition des rôles etc...
- l'épouse est considérée comme la propriété de l'homme
- il s'agit de société patriarcale à domination masculine
- on y trouve une forte proportion de violence interpersonnelle
- les inégalités économiques sont visibles


Cultures sans viols 

- c'est un fonctionnement matrilinéaire
- les femmes sont traitées avec beaucoup de respect pour leur rôle reproducteur
- les deux sexes sont considérés équitablement
- il y a une reconnaissance de l'autorité et de l'autonomie des femmes
- il y a transmission maternelle de l'héritage
- la violence interpersonnelle est très rare
- la division du travail est peu marquée, les prises de décisions sont communes
- il y a deux rôles bien distincts des hommes : le père et l'oncle maternel
     - le père subvient aux besoins de l'enfant sans recours à l'autorité, il est dans une relation émotionnelle avec son enfant
         - l'oncle maternel représente l'autorité
Cela induit que l'homme qui représente le partenaire sexuel de la mère n'est pas assimilé à l'autorité. Les interactions sexuelles sont bien distinctes des relations de domination



    Certaines associations pour handicapés revendiquent le droit au sexe pour leurs membres. Humainement, il est difficilement envisageable qu'une personne soit privée de relation sexuelle sous prétexte d'une infirmité. Cette préoccupation est louable, mais s'appuie sur un biais qui ferait du sexe un simple produit de consommation. Or il en va des relations sexuelles comme des relations affectives, elles s'établissent dans un échange librement consenti entre deux ou plusieurs personnes. On ne fait pas cas des personnes en manque affectif et on ne loue pas des amis pour compenser ces manques. Vous m'objecterez que les psys ont un peu ce rôle, mais les psys ne s'engagent pas affectivement. Ils sont une oreille. Pourquoi une personne devrait-elle se plier à des relations non consenties pour combler le manque d'une autre ? Cette personne est-elle de moindre valeur ? Et la personne ainsi satisfaite, est-elle réellement comblée dans une relation sans amour, sans envie ? N'est-ce pas un leurre ? Autant de questions auxquelles je vous laisserais répondre.


  • Qui sont ces femmes qui se prostituent ?


     Dans la plupart des cas, lorsqu'on parle de prostitution non consentie, on pense à toutes ces femmes expatriées, arrachées à leur famille, leurrées, appâtées par le rêve d'une vie meilleure, par un prince charmant qui se révèle manipulateur, qui les retient en leur confisquant leurs papiers d'identité, leurs passeport, qui les font plonger dans la drogue etc. Ces femmes vivent déjà dans une telle misère sociale qu'il est d'autant plus facile de les attirer. On pense également aux femmes qui disparaissent, kidnappées par un réseau de prostitution. Le problème est suffisamment grave à lui seul pour justifier qu'on lutte contre de telles pratiques.


La drogue, l'alcool

     C'est une conséquence bien souvent de la maltraitance dans l'enfance, et cela contribue à passer le cap de la prostution pour combler son manque, avoir sa dose. Contrairement à une idée reçue, les femmes qui vivent dans la prostitution ne roulent pas sur l'or que leur rapportent leurs passes. Une grande partie de leurs dépenses est investie dans ces substances qui leur permettent de supporter l'impensable, quand elles n'ont pas été forcées à se droguer par leur proxénète afin qu'il puisse garder une main mise sur elles.


les victimes de violences sexuelles dans l'enfance
     
Michaela Huber, psychologue et directrice de la société allemande pour le traumatisme et la dissociation : "La prostitution n'est en aucun cas un métier comme un autre. Elle est affaire de dégradation, de torture et d'exploitation. Les prostituées vivent beaucoup d'horreurs et de dégoût qu'elles doivent réprimer afin d'arriver à survivre. "
      Qui conçoit même l'idée de vendre son corps ? Comment peut-on supporter une telle violence ?


     Une mauvaise image de soi

     La condition préalable à ce geste est une aliénation de son propre corps. C'est lorsque vous-mêmes en êtes arrivé à considérer votre corps comme un simple objet que vous pouvez le marchander. On ne parle pas de travail à la chaine, on parle de se laisser pénétrer encore et encore dans son intimité la plus profonde par des corps non désirés.
     Selon une étude de Melissa Farley (2003), 55 à 90% des prostituées ont été victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance et 59% de maltraitance.


    La  dissociation

- elle court-circuite des fonctions intégratives lorsque le stress devient insupportable
- la conscience est altérée
- il y a une amnésie du moment, voir de ce qui entoure le moment traumatique
- il s'effectue un blocage des sentiments (plus de peur ou de colère)
- la perception est perturbée (sensation d'être dans un brouillard)
- s'ajoute à cela des troubles de l'identité (on ne sait plus qui on est, on joue un rôle)



Qu'en est-il de la notion de choix ?

     Pour permettre à des personnes étrangères de pénétrer son corps, il est nécessaire de supprimer des sentiments naturels : peur, dégoût, mépris, auto-condamnation... A la place de ces émotions, les prostituées mettent en place indifférence, neutralité et une conception fonctionnelle de la pénétration. Elle font une réinterprétation de cet acte pour en faire un travail. Comment, dans ces conditions, dans ces états de conscience aussi troublés, une femme peut-elle être réellement libre ? Comment peut-elle assumer de faire un "métier" qui nuit tant à son estime d'elle-même ? Souvent, c'est bien après en être sortie qu'une femme peut témoigner de l'enfer dans lequel elle était prisonnière, qu'elle peut réaliser ce qu'elle a fait endurer à son corps, qu'elle peut comprendre qu'elle a reproduit le schéma qu'on lui a fait intégrer d'elle-même par le biais de la maltraitance, à savoir qu'elle ne méritait pas mieux, qu'elle ne valait pas plus qu'un objet, que c'était par ce seul sacrifice qu'elle pouvait recevoir une attention, une validation de son corps, de son être, une pseudo-affection.


les actrices porno subissent-elles moins de violences ?
   
    Dans cet article de Gamekult "la face cachée de la pornographie" qui est très bien écrit, on constate que le sort des actrices porno n'est pas meilleur que celui des prostituées. De plus, plusieurs études confirment que les personnes entrant dans la pornographie ont majoritairement été victimes de maltraitance sexuelles, physiques ou psychologiques et présentent les mêmes symptômes de dissociation.
     Je comprends que l'on puisse être attiré par des images ou des films pornographiques, que cela puisse stimuler la libido ou combler un vide relationnel, mais dans ce cas, je ne saurais que vous conseiller de vous orienter vers des films amateurs dans lesquels le consentement des protagonistes ne fait aucun doute. Cela vous permettra de ne pas cautionner et ainsi ne pas contribuer à ce marché de la violence et de la mort.

  • Quels sont les risques ?

Des risques similaires dans la prostitution et la pornographie

   Au-delà de la violence physique et psychologique exercées par le proxénète ou le producteur du film pornographique, par les clients de la prostitution, au-delà des traumatismes physiques et psychologiques et des symptômes qui s'y rattachent, ces femmes encourent de graves risques sanitaires liés à leur précarité (impossibilité de se faire soigner correctement après une lésion physique), une exposition quotidienne aux MST, une majorité des films porno n'ayant pas recours aux préservatifs. S'ajoutent à cela des risques secondaires dus aux conséquences des prises de drogues ou d'alcool, un isolement social qui les rend encore plus vulnérables etc... Et que deviennent-elles quand le marché du sexe ne "veut" plus d'elles ? 


Conséquences d'une société influencée par la pornographie

    Les femmes non prostituées subissent une pression de plus en plus intense pour fournir les mêmes prestations que ce qui est représenté dans la pornographie. 
   L'Etat du Nevada dans lequel la prostitution est légale enregistre un plus grand nombre de viols que la moyenne nationale (Rapport du FBI Uniforme Crim Report). Il en est de même en Suède.
   L'exposition à la pornographie augmenterait de 22% les risques d'agression sexuelles et de 33% l'adhésion aux mythes du viol.


  • Quelles solutions apporter pour éviter cela ?
     L'une des premières choses à prendre en compte dans ce domaine, c'est l'extrême méconnaissance des jeunes et des moins jeunes en ce qui concernent leurs droits, les droits de l'autre dans une relation. Combien de femmes acceptent une relation sexuelle parce qu'elles pensent qu'une fois qu'elles ont accepté un certain rapprochement elles ne peuvent plus dire non ? Cette connaissance passe par un apprentissage de ses droits, des droits au respect de soi, à ses limites, au fait que l'on peut dire non, stop, à tout moment, même au cours d'un acte sexuel. Cela doit s'accompagner d'un apprentissage des émotions, la prise en compte de celles de l'autre, de son respect.

    Ensuite, puisque la majorité des prostituées sont d'anciennes victimes de maltraitance dans l'enfance, cela révèle une trop faible prise en charge des violences faites aux enfants, une négligence de l'ampleur de ces maltraitance et une persistance de l'idée selon laquelle le recours à la violence est un mal nécessaire pour éduquer son enfant. Les études montrent pourtant que c'est le contraire que l'on observe. Une personne ayant subi des violences éducatives, familiales, qu'elles soient physiques ou psychologiques, a plus de risques de reproduire ces actes à l'âge adulte, de reporter sa violence sur une victime plus faible et d'entrer dans la délinquance. Un enfant a le plus de risque de mourir sous les coups de ses parents que d'accidents domestiques. Je vous renvoie à nouveau à Alice Miller "C'est pour ton bien", pour détailler ce sujet.

   Enfin, d'un point de vue législatif, certains pays ont opté pour la légalisation de la prostitution au moyen de maisons closes (l'Allemagne notamment). Mais on peut se demander comment une femme pourrait être en sécurité dans un lieu fermé, à la merci de plusieurs hommes qui se sentent investis de tous leurs droits sur elle. De plus, il s'agit de lieux d'exploitation économique où les femmes sont censées rembourser une location et payer leur proxénète avant de toucher le moindre euro. Et l'on constate que ces lieux ne sont pas particulièrement surveillés d'un point de vue sanitaire, ces femmes vivent le même isolement et dans la peur d'être jetées quand elles ne seront plus au "goût des clients".

   Est-ce qu'une sanction des clients ou même une condamnation ou une obligation de suivi psychologique permettraient d'endiguer ce phénomène ? Je ne sais pas mais cela semble plus juste que ce soit à ceux qui exploitent ces femmes sans aucune culpabilité d'en payer les conséquences.


    Les promoteurs des "travailleuses du sexe" sont majoritairement des femmes blanches, de classe moyenne qui prennent pour acquis que le choix est un concept évident. Mais peut-on parler de travail lorsque l'on voit les implications psychologiques d'une telle activité ? Combien de prostituées sont-elles réellement heureuses de cette situation (si l'on exclut celles qui sont dans le déni et qui ne réaliseront que lorsqu'elles en seront sorties) ? Est-ce qu'une minorité de cas de prostitution choisie et bien vécue doit masquer l'ampleur de la catastrophe sanitaire qui se joue pour autant de femmes ?

1 commentaire:

  1. En tant que prostituée, j'aurais simplement voulu dire que la peur fait partis intégrante du travail. On vit à travers elle à chaque instant. Chaque geste du client peut se transformer en attaque... Alors non, on ne peut pas en faire abstraction : l'instinct de survis est permanent !

    De plus, le mépris et l'agressivité existent aussi, mais à l'encontre du client...
    J'ai toujours eu un mépris et un dégoût profond envers mes clients. Même s'ils étaient gentils et soigneux. Le mythe du "bon client" qui veut aider la prostituée, c'est qu'un leurre pour que leur petit ego ne souffre pas trop en nous tendant les billets... On ne peut pas se servir de quelqu'un et estimer être bon avec lui !
    Et phrase que j'ai déjà lu et avec laquelle je suis à 100% d'accord : le meilleur moment, c'est quand le client paye et qu'il se casse !!

    Sinon, très bel article extrêmement représentatif...

    RépondreSupprimer

Vos réactions